vendredi 23 octobre 2009

Mein Kampf, l'introuvable best seller... retrouvé


Antoine Vitkine, Mein Kampf, histoire d’un livre, Paris, Flammarion, 2013, 332 p.

Mein Kampf ("Mon combat", 1925-1926 pour la première édition), l'ouvrage de Adolf Hitler a été publié à des millions d'exemplaires ; Hitler s'est enrichi grâce à ses droits d'auteur en Allemagne.
Son éditeur autrichien réussit à faire interdire la traduction de l'ouvrage (effectuée par des antinazis) et sa distribution au grand public, en France ainsi qu'en Grande-Bretagne. En effet, saisis par les nazis, les tribunaux français donnèrent raison à Hitler (1934), servant ainsi la politique délibérée du chancelier nouvellement élu : ne pas ébruiter les intentions criminelles et expansionnistes énoncées sans détour dans son livre, ne pas faire connaître sa francophobie délirante. Les tribunaux français ont de facto contribué à la sous-estimation du danger nazi. Lucidité de l'époque qui culminera avec le soutien du Parti communiste au pacte germano-soviétique puis avec la collaboration pétainiste. Finalement, le livre sera publié en sous-main, et diffusé discrètement. Une association de lutte contre l'antismémitisme (la LICA, future LICRA) finança en partie la traduction : la vérité est toujours bonne à dire.

En mai 2008, ARTE a diffusé une émission sur Mein Kampf  ("Cétait écrit"). L'ouvrage correspondant à cette émission est publié. Passionnant ; parfois lent et qui fait sentir combien il est difficile encore de parler du nazisme, et de ses composantes surtout lorsqu'elles affectent l'histoire française.
En 2006, fut publié en allemand un imposant travail de recherche historique sur le livre de Hitler (Othmar Plöckinger, Geschichte eines Buches: Adolf Hitlers Mein Kampf 1922-1945, 632 pages, avec index et bibliographie).
Le Point - Grand Angle, nouveau titre lancé en septembre 2009, consacre son premier numéro à Hitler. L'angle de la publication est indiqué en couverture : Hitler est un "monstre". Cette monstruosité arrange tout le monde, Hitler et le nazisme sont rejetés dans l'anormal, l'improbable, l'imprévisible, ce qui ne se reproduira pas. Donc il n'y a pas de responsabilité : l'imprévoyance est compréhensible. La collaboration aussi, bien sûr.

La thèse contraire soutient que Hitler, c'est la banalité du mal ("banality of evil", Hannah Arendt), sa logique-même (Emmanuel Lévinas, 1934) : "Plus qu'une contagion ou une folie, l'hitlérisme est un réveil des sentiments élémentaires... [Il] met en question les principes mêmes d'une civilisation". Ces diagnostics terrifiants appellent à la vigilance pour déraciner le mal dès les premiers symptômes ! Dans cette optique, l'histoire de Mein Kampf est un cas qui invite à réfléchir.

Mein Kampf reste un best seller mondial. Il aurait toujours, selon Antoine Vitkine, un succès considérable en Inde, dans le monde arabe, en Turquie... Mais il reste introuvable en allemand, car l'Etat autrichien (qui eut récemment des sympathisants nazis au gouvernement et les protège toujours ;  veille jalousement (cf. L'Express). On recommence !

En français, on peut trouver le fac similé de la première édition avec une page de mise en garde, conformément à la loi, publié par les Nouvelles Editions Latines.
Qui a peur d'un livre ? Faut-il avoir peur d'un livre ? Faut-il s'inquiéter d'avoir peur d'un livre ?
En janvier 2016, Mein Kampf est tombé dans le domaine public : histoire à suivre.

Suite (mise à jour, été 2016)
En janvier 2016, paraît en allemand une édition critique de Mein Kampf : deux gros volumes, près de 2000 pages, des milliers d'annotations (description de l'édition).
Non sans difficulté, j'ai réussi à l'acheter, et j'ai pu le feuilleter, le parcourir... Prix et volume dissuasifs !

Ouvrages évoqués
Mein Kampf. Eine kritische Edition Herausgegeben im Auftrag des Instituts für Zeitgeschichte, München – Berlin, von Christian Hartmann, Thomas Vordermayer, Othmar Plöckinger, Roman Töppel Unter Mitarbeit von Pascal Trees, Angelika Reizle, Martina Seewald-Mooser, 1948 Seiten mit farbigen Abbildungen, 2 Bände, 59 €

Lévinas (E), La philosophie de l'hitlérisme, 1934
Arendt (H), Eichmann in Jerusalem. A Report On the Banality of Evil, 1963
Plöckinger (Othmar), Geschichte eines Buches: Adolf Hitlers Mein Kampf 1922-1945, 632 pages, avec index et bibliographie.
Voir aussi la recension de Mein Kampf par George Orwell, en mars 1940 (ici)


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