dimanche 24 avril 2011

Baudelaire, poète et journaliste


Baudelaire journaliste, Articles et chroniques choisis et présentés par Alain Vaillant, Paris, GF, 382 p. index, bibliogr., 8,9€

Cette anthologie constitue un impeccable outil de travail tant pour l'étude de la littérature que pour celle des médias.
D'abord, une introduction concise et éclairante situe le journalisme de Charles Baudelaire et sa spécificité dans son époque. Charles Baudelaire choisit ses supports de publication, il n'est jamais, comme Balzac, par exemple, employé par un journal. C'est une sorte de free lance autonome, qui ne travaille pas sur commande. Le journalisme semble pour lui davantage un laboratoire où il essaie ses textes qu'une source de revenu décisive : il vit de son héritage familial.
Baudelaire publie de tout dans la presse et les revues : des poèmes, des traductions (E. A. Poe), des essais, des critiques, des compte-rendus d'exposition. Il s'agit d'un journalisme écrit, travaillé, fin, ironique, espiègle et surtout pensé.

Le choix de textes effectué par Alain Vaillant illustre la diversité de la producton baudelairienne et sensibilise le lecteur à la spécificité de chaque genre journalistique. L'objectif primordial de ce livre est de rééquilibrer la perception de l'oeuvre de Baudelaire dont le grand public et le public scolaire ne connaissent souvent que les Les Fleurs du mal. Très vite, le lecteur perçoit mieux Baudelaire dans sa relation aux médias, au pouvoir impérial, à la société. Et, retombée inattendue, la poésie des Fleurs du mal en sort encore plus touchante, plus incarnée.

L'ouvrage comporte des annexes didactiques permettant de mieux comprendre la place des médias dans l'oeuvre et la vie de Baudelaire : calendrier des publications, contexte, biographie en tableaux commodes. Alain Vaillant, Professeur de littérature à Paris-Ouest, est connu comme l'un des spécialistes de l'histoire du journalisme et de la presse au XIXe siècle. Armé de sa double compétence, il conduit ses lecteurs dans Baudelaire d'une main sûre et montre, bien que ce ne soit pas son propos, que la connaissance des médias du XIXe siècle est un outil efficace pour percevoir les caractéristiques des médias du XXIe siècle, en voie de numérisation. Bénéfices de l'approche comparatiste.

Cette anthologie est publiée dans une collection consacrée aux écrivains journalistes qui compte, entre autres, un Gautier, un Hugo et un Zola journalistes.

lundi 18 avril 2011

Trajectoire média d'un romancier fasciste français

Jacques Cantier, Pierre Drieu La Rochelle, Editions Perrin, Paris, 2011, 318 p., Index, Bibliogr.

Biographie, par un historien universitaire, d'un écrivain fasciste, collaborateur actif et délibéré des nazis. Drieu est impardonnable, même s'il se trouve des personnes pour pardonner au nom de son talent d'essayiste, de romancier, de journaliste. Il y a un cas Drieu comme il y a un cas Céline ; ils ont d'ailleurs en commun l'antisémitisme fervent. Durant la première moitié du XXème siècle, les comportements de la classe intellectuelle française ont été particulièrement navrants, et il ya beaucoup de "cas". Drieu, comme beaucoup d'autres, a été, de longue date, manoeuvré par des nazis "francophiles", Otto Abetz, Gehrard Heller, notamment. En 1935, Drieu visite en touriste le camp de concentration de Dachau (ouvert dès 1933, près de Munich) ; en bon hitlérien, il n'y trouve rien à redire : le droit du plus fort s'exerce.
Drieu marque l'histoire littéraire en dirigeant la NRF de Gallimard pendant l'Occupation, installé dans ce poste par les nazis, aboutissement de sa carrière. Les nazis tenaient à laisser aux Français l'illusion d'une vie culturelle normale, conformément aux consignes de Hitler qui l'avait annoncé dans Mein Kampf ! La plupart des intellectuels français joueront ce jeu, continuant de publier, de faire jouer leurs pièces (dont Sartre, Beauvoir, etc.). Cf. posts sur les Médias de la collaboration nazie, et sur Mein Kampf, introuvable best-seller.
Pourquoi évoquer cet ouvrage à propos des médias ? Parce qu'il met en chantier trois notions importantes pour analyser et comprendre les médias : la génération, l'hégémonie culturelle, la carrière.
  • La "génération" est une variable souvent mobilisée par les analyses média (cf. Générations Média). Les historiens ne s'accordent pas sur la valeur du concept : Marc Bloch en admet la pertinence explicative tandis que Lucien Febvre lui dénie tout intérêt. L'auteur, sans prendre parti dans le débat épistémologique, rend parfaitement compte, et il y faut du talent, de l'hégémonie culturelle (Gramsci) qui conduit à l'installation d'une collaboration culturelle avec le nazisme. Long héritage d'antisémitisme, de rancoeur et de ressentiment qui peut s'épanouir. Génération "du feu", les écrivains qui ont eu "vingt ans en 1914" (Drieu, Aragon, Berl, Céline, Guéhenno, etc.) sont revenus du Front désabusés, brisés, désorientés. Assurément, on perçoit dans cette biographie des traits qui constituent la culture d'une génération mais cela ne rend pas compte des comportements opposés qui s'y sont formés. 
  • L'hégémonie culturelle, pour revenir au concept forgé par Antonio Gramsci. Cette hégémonie qui assurera aux nazis une collaboration paisible en France doit beaucoup à la presse, journaux, revues, magazines. L'ouvrage fourmille de références aux titres qui se créent, s'opposent, s'invectivent en un théâtre politique autant que littéraire. Seule une réflexion sur le métier des "clercs", journalistes, écrivains et doxosophes de tout poil permettrait de dégager le rôle de la presse dans l'élaboration de cette hégémonie culturelle... Réflexion entamée par Julien Benda avec La trahison des clercs (1927, publiée par la NRF) et sa "Note sur la Réaction" (1929) mais qu'il faut pousser rigoureusement, bien au-delà, avec la notion de "métier" : qu'est-ce qu'un journaliste ? L'examen des productions journalistiques de cette époque, et en particulier de celles de Drieu, permettrait de distinguer le travail du journaliste (enquêter, vérifier, analyser, exposer) du recyclage introspectif de la vie personnelle et des opinions que sont l'écriture et la vie littéraires. Drieu est dans tous les journaux et revues sans être jamais journaliste. Cette démarche d'analyse différentielle du mode de production journalistique serait plus opérante que la dénonciation d'une "classe politico-médiatique" à la manière de Chomsky et Herman (Manufacturing Consent: The Political economy of Mass Media, 1988). 
  • La carrière. Nous reprenons la notion telle qu'elle a été développée par Raymond Picard (La carrière de Jean Racine, 1956). Drieu n'a jamais travaillé, vivant aux crochets de sa famille, de ses femmes et surtout du "sursalaire" de la représentation politique et médiatique (y compris missions, avantages divers, etc.) pour emprunter l'expression de Milner dans Le Salaire de l'idéal (1997). Pour réussir en travaillant peu, il fallait une ambition, un calcul continu d'optimisation sociale dont sont évacués les freins (principes, fidélités, etc.). Sans faire oeuvre systématique de sociologue, Jacques Cantier montre les sinuosités de la carrière de Drieu. La soumission à la carrière et l'abandon des principes qu'elle nécessite constituent des analyseurs cruciaux pour comprendre les médias plus encore que toute autre entreprise. L'économie numérique des médias, en rénovant le champ fait naître de nouvelles trajectoires, de nouvelles sinuosités. Ce travail d'analyse n'est que rarement effectué : le champ l'interdit. 
Cette biographie littéraire a l'air d'un roman, et c'en est un, des plus réalistes. Mais pour agréable à lire qu'elle soit, c'est aussi un ouvrage d'historien, ouvrage bien construit, clair et méticuleux, documenté. On le referme, après plus de 300 pages, tellement intéressé que l'on regrette que l'auteur n'en ait fait davantage (notamment, sur le "modèle économique" de Drieu, sur l'image de Drieu dans l'après-guerre). Cet ouvrage d'histoire littéraire pourrait constituer un point de départ pour une analyse secondaire du rôle de la presse, de son fonctionnement dans la mise en place de l'hégémonie culturelle qui fait une époque.
.

dimanche 10 avril 2011

La vie en numérique. Mode d'emploi.

David Bauer, Kurzbefehl. Der Kompass für das digitale Leben, Echtzeit Verlag, Basel, 198 p. 26 €, SFR 33.

Ouvrage de vulgarisation, "raccourci", "boussole pour la vie numérique", annonce le titre. Rien de neuf a priori. Ambition modeste et folle. Rien de plus risqué et de plus nécessaire que la simplification. Avant d'évoquer le contenu, soulignons combien ce livre constitue une belle réalisation éditoriale avec sa mise en page élégante, son organisation limpide, sa reliure solide : plaisir des yeux et de la main. C'est ça, le papier. L'ensemble, pragmatique, oscille entre introduction à la philosophie et manuel de savoir vivre.
Début du test labyrinthe (arborescence)
Apparemment, l'auteur s'empare - se pare ? - des questions qui se posent, comme on dit. Comme si des questions se posaient ! Qui les pose, pourquoi, à qui ? Toute passivation est dissimulation, avantageuse pour le sujet dissimulateur et dissimulé. Questions posées à la manière socratique, plutôt que journalistique - tant mieux - pour faire accoucher les lecteurs de pensées, d'idées, de décisions personnelles.
Certaines de ces questions (titres de chapitres) sont moins innocentes qu'il y paraît. Par exemple :
  • Que dois-je savoir sur Facebook ?
  • Dois-je être toujours joignable ?
  • Pourquoi faut-il que nous photographiions tout ?
  • Est-ce que la technologie nous réunit ou nous sépare ?
  • Est-ce qu'Internet rend le monde plus démocratique ?
  • Quel effet Internet exerce sur notre langue ?
  • Comment téléphoner en public ?
  • Faut-il prendre soin de notre écriture (manuscrite / Handschrift)
Au cours de ce dialogue simulé, un test est proposé en forme d'arborescence (pp-160-161) pour illustrer, dégager le type d'"homo digitalis" qu'est le lecteur. Certaines questions, sous leur allure espiègle et bon enfant, sont terrifiantes. "Avez-vous déjà écrit une lettre d'amour" ? "Sortez-vous parfois sans votre téléphone portable" ? "Décrochez-vous le téléphone portable (das Handy) s'il sonne pendant que vous faîtes l'amour ("wenn es während dem Sex klingelt")" ? Et, enfin, la première, radicale, qui dichotomise, à la Rousseau : "Croyez-vous que la technologie rende [fasse] le monde meilleur ?" Bonnes, très bonnes questions : maïeutique pour que s'insinuent doute et inquiétude. Beaucoup semblent sans issues, aporétiques. 

A l'occasion de cette lecture, on peut entr'apercevoir une manière différente d'écrire sur le numérique, moins tonitruante, moins triomphante que la vulgarisation américaine ou française. Un livre qui énonce, avec humour, et se garde de dénoncer. Excellente dubitation !
Le livre aussi est accessible en ligne, gratuitement : http://www.kurzbefehl.ch/.

mercredi 6 avril 2011

Média-médecine, enquêtes marketing et clinique

.
Daniel Couturier, Georges David, Dominique Lecourt, Jean-Daniel Sraer, Claude Sureau, La mort de la clinique ?, Paris, PUF, 2009, 153 p.

Cet ouvrage consacré à l'évolution de la médecine peut être abordé du point de vue des médias sous deux angles.
  • Le malade est désormais internaute. La médecin doit en tenir compte et conseiller le patient dans sa consultation du Web. Le malade est transformé par la fréquentation assidue des sites médicaux ; il ne parle plus ses symptomes et ne conçoit sa maladie que dans la langue et les notions de ces sites (ou d'émissions de télévision, de magazines, etc.). Notons à ce propos que la Haute Autorité de Santé incite les médecins à former leurs patients à l'utilisation du Web. Exemple : ce que les Américains ont cherché sur le Web en 2011, par Healthline.
  • La relation médecin - malade est homologue à la relation enqûeteur - enquêté. Les réflexions des spécialistes de médecine sur l'évolution de la clinique sont transférables à l'enquête telle qu'on la pratique en marketing et dans les études d'audience. La comparaison clinique / enquête est féconde et invite à plus de lucidité, de circonspection dans nos pratiques d'enquêtes, notamment pour ce qui concerne les usages langagiers et les risques d'imposition de problématique.
Le livre réunit une dizaine de contributions. La première évoque la place primordiale de la clinique, de la discussion du médecin avec le malade, dès les premiers pas du diagnostic. La clinique, rappelons le, c'est le malade alité (kline, κλίνη, le lit) et le médecin à son chevet, qui parlent. L'évolution de la médecine réduit l'importance de la clinique et des ses observations au profit des technologies (analyses biologiques, radio, etc.). Un écran technologique s'interpose entre le malade et le médecin (Dominique Lecourt). Le "colloque singulier" s'amenuise et tend à disparaître. Tout y conduit : l'évolution de la médecine (innovations technologiques), les contraintes économiques de la santé.

Le malade ne parle plus. En un remarquable texte, Didier Sicard, Professeur de médecine à l'université de Paris V, évoque l'usure des outils sémiologiques dont dispose un  malade pour décrire sa maladie. Didier Sicard constate que "le malade s'adapte au vocabulaire médical pour répondre comme il est attendu" (des répons plutôt que des réponses, aimait à dire Bourdieu). Triomphe du conformisme et d'une sorte de langue de bois. Le malade a appris à "parler médical" couramment évoquant son "écho" pour son foie, sa mammo pour son sein, sa colo pour son intestin, son PSA, son IRM...
Le malade ne sait pas (plus) dire ses symptômes et les bafouille dans une langue seconde acquise dans les médias ("Dr Google", dit Sicard). Contre cette dérive, il souhaite que le médecin en revienne à une clinique "fondée sur une écoute attentive", patiente, alors qu'un malade qui consulte est interompu au bout de 1mn 40s (moyenne). Le médecin est rendu impatient : il n' a pas le temps d'écouter son patient et il compte sur les examens de laboratoire qu'il prescrit pour effectuer son diagnostic. Autocensure du malade qui se comporte en bon élève imaginaire (il dit ce qu'il croit qu'il faut dire, dans les termes qu'il croit être les bons). La fréquentation du Web réduit la parole à l'information, "le dit par la médecine remplace le su du corps". Contre cette "ventriloquie", Didier Sicard revendique une "rencontre éthique".
En marketing, cette ventriloquie, nous l'observons dans les situations d'enquête, sur le terrain. La sociologie la connaît bien, c'est souvent l'effet d'une relation asymétrique. Chacun y joue son jeu, sans y croire : illusion. Sur le "marketing" spontané des consommateurs, voir notre post : "Le consommateur marketeur".
Avec des accents lévinassiens - l'importance du regard, de la rencontre -, le texte de Sicard stigmatise une société où l'on ne se rencontre plus guère, le plus souvent par médias interposés : téléphone portable, courrier électronique, liens partagés (sic), réseaux sociaux, etc. Les paroles, standardisées par les machines, limitent l'expression de l'innovation, du doute.... Gens pressés par le temps, les impératifs de gestion (benchmarking), l'enquêteur comme le médecin, l'enquêté comme le malade. Contraintes de rentabilité qu'énoncent les règles budgétaires, les normes administratives...

Ce qui se dit, en médecine, de la clinique, mérite d'être transféré à la situation d'enquête où le face à face et le semi-directif font place aux enquêtes téléphoniques guidées par l'ordinateur (computer-assisted, CATI, etc.), aux enquêtes en ligne. De même que le malade répond au médecin avec les expressions mal comprises de la médicalisation médiatisée, l'enquêté répond aux enquêtes avec les mots d'un marketing vulgarisé dont il a appris les rudiments à la télé, sur le Web (doxa). Que collectent les enquêtes ?

Les auteurs plaident pour une meilleure association de l'investigation clinique et de la technologie médicale. Guy Valencien, Professeur de médecine à l'université de Paris V, consacre un chapitre à la "média-médecine" et montre tout ce qu'elle induit comme transformations dans la médecine, touchant jusqu'à la formation des médecins, la géographie de l'implantation des établissements de santé, la collecte, l'organisation et la gestion de données.
Tous ces problèmes, nous les connaissons bien dans les médias ; leur approche par la médecine les fait voir autrement, donc mieux. Ce livre ne parle pas des médias et, pourtant, beaucoup de ce qu'il traite s'applique aux médias et au marketing. Aux jeunes chercheurs en marketing, on peut suggérer de méditer cette aphorisme de Fred Sigier, cité par Didier Sicard : "Ecoutez le malade, il vous donne, vous offre généreusement son diagnostic". Ecoutez l'enquêté...

N.B. Bonne occasion de (re)lire La Naissance de la clinique de Michel Foucault, Paris, PUF,  ainsi que les textes de Lévinas sur le regard  dans la relation à autrui (j'ai découvert que l'on enseignait Lévinas aux étudiants de médecine) : Totalité et infini, 1971, (cf. chapitre "Visage et éthique") ; Ethique et infini, 1982, (chapitre 7). Les deux ouvrages sont publiés en Livre de Poche.
Voir aussi, Luc Boltanski, La découverte de la maladie. La diffusion du savoir médical, Centre de Sociologie Européenne, Paris, 1968, 220 p.




.

dimanche 3 avril 2011

De quoi sont faits les faits divers


Louis Chevalier, Splendeurs et misère du fait divers, Editions Perrin, 2004, collection tempus, 2010, 182 pages, 7€

Sous ce titre balzacien se dissimule un cours pour le Collège de France. Louis Chevalier est connu pour son travail sur l'histoire politique et sociale de Paris au XIXème siècle, notamment pour son livre intitulé Classes laborieuses, classes dangereuses (1958).

Qu'est-ce qu'un fait divers ? Expression curieuse qui, à la notion de "fait" pour la fabrication, ajoute celle de "divers" pour y classer ce qui n'est pas classable ailleurs : catégorie résiduelle d'une taxonomie documentaire et journalistique insuffisante (d'ailleurs, les manuels de journalisme s'y empêtrent). Marielle Macé ne voit-elle pas dans certains Petits poèmes en prose du Spleen de Paris, des "détournements de faits divers"... (in Le genre littéraire, p. 108, GF). Charles Baudelaire lui-même stigmatisait les gazettes : " Le journal, de la première ligne à la dernière, n'est qu'un tissu d'horreurs. Guerres, crimes, vols, impudicités, tortures, crimes des princes, crimes des nations, crimes des particuliers, une ivresse d'atrocité universelle. // Et c'est de ce dégoûtant apéritif que l'homme civilisé accompagne son repas de chaque matin." (in "Mon coeur mis à nu").
La place du fait divers dans la presse est difficile à établir, entre voyeurisme louche et commercial d'une part, approche des faits sociaux sans légitimité scientifique (politique, démographique) d'autre part. Crimes, people, vécu (cf. le sous-titre du magazine Closer), le fait divers reste un plat de résistance au menu des médias. Un magazine récent le revendique, Polar et Crimes, "magazine de Faits Divers" mais il y a aussi Les Archives du crime, Dossiers criminels, et bien d'autres, et il reste Détective lancé en 1928 par Gallimard où ont écrit Kessel, Carco, Mac Orlan, Albert Londres, et qui est chaque semaine dans les kiosques.
Les faits divers criminels alimentent de nombreuses séries à  la télévision ("Dexter", "CSI", "Criminal Minds", etc.) et des chaînes à temps plein : truTV, Crime and Investigation Channel, AXN Crime, Sky Krimi, RTL Crime, etc.

Louis Chevalier s'intéresse en historien au fait divers et en détecte les traces chez les romanciers du XIXème siècle (Hugo, Stendhal, Balzac, Dumas...). Le fait divers accède à une dignité sociale et même philosophique : l'auteur évoque Marx, journaliste pour le New York Tribune, dont les articles partaient d'un fait divers pour lancer une réflexion politique. Le fait divers intrigue : Merleau-Ponty et Barthes y trouvent pâture universitaire; Georges Auclair décèle "Le Mana quotidien" en analysant les "Structures et fonction de la chronique des faits divers" (1970). Au tout premier âge de Libération, la rédaction voyait dans le fait divers un objet de prédilection du journalisme politique... Le cours de Louis Chevalier s'achève sur une longue référence à Hitchcock, plus éclairante que beaucoup de théorie, à propos de son film "L'inconnu du Nord-Express", ("Strangers on a Train", 1951).

De la rubrique des "chiens écrasés" aux analyses de Michel Foucault (Moi, Pierre Rivière...) en 1973 (dont on fera un film), les faits divers ont gagné en légitimité. Cet ouvrage agréable n'en élucide pas la logique médiatique et l'on reste sur sa faim quant au rôle manifestement important du fait divers dans la construction de l'actualité par les médias et dans sa réception par les lecteurs (mentionnons à ce propos l'ouvrage de Laurent Briot sur La France des faits divers qui exploite la presse régionale). On ne sort pas du paradoxe du fait divers : à la base des romans, des films, des médias de toutes sortes, il reste relégué, mal pensé. Sans doute faut-il remettre en question les classements qui rejettent tous ces faits dans une même catégorie sans raison. Le fait divers n'existe pas, il n'ya que des faits. D'ailleurs, comment un moteur de recherche les reclasse-t-il, ces "faits" sans mot propre ? A partir de quelle requête débouche-t-on sur un de ces "faits" avant qu'un média les ait baptisés et catégorisés "divers"?

samedi 2 avril 2011

Steve Jobs for Président !

.
L'exemple de quelques grandes entreprises qui ont associé innovation, qualité des produits et performance financière fait rêver les gestionnaires, et quelques citoyens, et tout particulièrement les citoyens contribuables. "Que ferait telle entreprise à votre place" (Chrysler, Google, Disney, Pixar, etc.), se demande-t-on dans des ouvrages apologétiques, plus ou moins vite fait mal faits. Pourtant, l'idée d'un analyseur comparatif décalqué des entreprises numériques (Google, Amazon, Apple) peut séduire ; il s'agirait d'effectuer des expériences de pensée (Gedanken Experiment) pour tester la gestion politique, expériences semblables à celle du malin génie de Descartes ou du chat de Schrödinger, en d'autres domaines. Que peuvent en espérer les sciences des organisations politiques ? On pourrait confronter Rousseau, Marx ou Arendt aux observations du fonctionnement de ces entreprises... Quelles différences entre les sciences de gestion et les sciences du politique ?
En un bref post, Francis Pedraza imagine la gestion du gouvernement américain revue par celle de Apple. Libre à vous de transférer et adapter ces questionnnements à d'autres ensembles politiques : région, commune, nation...
Voici résumées les recommandations du Président Jobs selon ce post :
  • Recentrer l'administration sur les usagers /clients, sur les besoins quotidiens surtout non dits (non dicibles). On ne gouverne pas avec des sondages. Plutôt des observations quali : "listen to what people don't say; qualitative insights into people's everyday lives give us the best clues to their needs and design solutions". Steve Jobs se méfie des focus groupes.
  • Définir les priorités et refuser le reste. Concentrer les interventions des impôts de l'Etat sur ce que le secteur privé ne sait pas faire. Eliminer le gaspillage. Savoir dire "non".
  • Un président doit savoir être impopulaire auprès du microcosme des pseudo porte parole : politicien, élus, administrations, communicateurs de tout poil, lobbyistes, journalistes. "Impopular in DC" ! Pas de compromissions.
  • Innover à partir de propositions issues de l'ensemble de la population plutôt que concoctées par de pseudo experts (crowd sourcing). L'auteur évoque la législation fiscale américaine pour illustrer un désastre patent que pourrait corriger une initiative populaire.
  • En finir avec des communications gouvernementales sans objet défini et aux objectifs invérifiables. Les remplacer par des communiqués trimestriels clairs, exposant un contenu primordial et des promesses tenues.
  • "It's time for a new social contract. Demand it". C'est la conclusion. Traduction inutile. 
Voteriez-vous Jobs ?
.