vendredi 5 août 2011

Brecht et Weigel à la maison

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Chausseestrasse 125. Die Wohnunngen on Bertolt Brecht und Helene Weigel in Berlin-Mitte, fotografiert von Sibylle Bergemann, Akademie der Künste-Archiv, 96 p.

Visiter la maison d'un écrivain pour mieux comprendre le mode de production de ses textes ? Pourquoi pas. La dernière habitation de Brecht peut être visitée à Berlin, Chausseestrasse 125. La visite, guidée, est brève, claire. Le document qui l'accompagne également.

Cette maison est aussi et, peut-être, d'abord, un atelier où se fabriquent les pièces de théâtre ("Produktionstätte"), où se réunissent les acteurs, costumiers, décorateurs des pièces jouées par le Berliner Ensemble, théâtre que dirige Helene Weigel : des bureaux et tables pour écrire, ciseaux et colle, pinceaux, schémas de mises en scène, documents (photos, journaux, anglais et américains notamment)... Une radio, une machine à écrire (portable), des téléphones fixes et même un téléviseur dans la chambre d'Helene Weigel. Des livres.

Le document du musée rapporte des réflexions sur les effets de l'habitation (l'habiter), sur le rôle et l'ampleur des habitudes ("die Diätetik der kurzen Gewohneiten") prises dans une habitation, réflexions stimulées par une discussion avec Walter Benjamin. En allemand comme en français, les notions d'habitude (Gewohnheit) et d'habiter (wohnen) sont parentes et renvoient, pour le français, au verbe latin avoir (habere). Dommage que le mot "habitant" l'ait emporté sur l'ancien français "habiteur" : de la maison et de celui qui y demeure, quel est l'habiteur ?

Au mur, sur des étagères, des signes des engagements de Brecht : un poème de Mao, une image et un texte de Confucius ("Der Zweifler", celui qui doute, titre d'un poème de Brecht, repris dans le livre, p. 50), des masques de théâtre japonais Nô : la ligne asiatique ("die asiatische Linie") qui court dans l'oeuvre de Brecht est manifeste, tout comme la ligne marxiste, non stalinienne (portraits de Lénine, Marx, Engels). Et encore des livres, de toutes sortes : des policiers (Krimi), des livres de cuisine et les classiques (Schiller, Goethe, Shakespeare, Cervantes, etc.)...

Trop peu d'attention est accordée par les sciences des médias et des cultures au mode de production des oeuvres, des médias (épistémologie). Les modes de production, littéraires ou cinématographiques, restent dissimulés dans la notion fumeuse d'auteur. D'après cette habitation, qu'est-ce qui a changé dans les technologies de création littéraire ? L'ordinateur et le Web. Si peu, et tellement.
Cette habitation énonce un mode de vie indissociable d'un mode de production et d'un rapport au monde : l'habitation ne doit pas manifester, provoquer d'attachements. Elle reste un lieu provisoire, pas d'enracinement. Dernière habitation de passage pour ces deux qui furent des émigrés perpétuels, condamnés par le nazisme dès 1933, mais revenant à la langue allemande et à Berlin, un moment usurpés (cf. le texte de Anna Seghers sur la langue parlée, prononcée par Helene Weigel, pp. 66-68). Brecht et Weigel sont enterrés ensemble, selon leurs voeux, dans le cimetière voisin, à quelques pas des tombes de Fichte et de Hegel...
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