lundi 7 novembre 2011

La fin du 35 mm : du grain au pixel

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Avec un titre à la Brel (ou, mieux, à la Rozier !), le numéro de novembre des Cahiers du cinéma  annonce en couverture que : "La Révolution numérique est terminée", la pellicule argentique est bonne pour le musée. Un dossier d'une quarantaine de pages dresse le bilan de cette révolution commencée il y a plus de dix ans. Un film n'est désormais qu'un ensemble de fichiers sur un disque dur (DCP, "Digital Cinema Package"). Le film 35 mm avec ses lourdes bobines de celluloïd aura duré 120 ans. Mais la révolution numérique, qui emporte le 35 comme elle emporte le papier et le vinyle, est-elle terminée pour autant ? Je ne crois pas...


Le dossier est centré autour de la comparaison entre le cinéma d'avant et celui de l'ère numérique, question reprise sous l'angle de métiers différents : monteur, cameraman, gestion des salles, etc. L'entrée en matière, un peu nostalgique, de Jean-Philppe Tessé donne le ton de cette analyse de la rupture avec l'analogique : il souligne ce que représentaient son imperfection et sa proximité, tout ce dont témoigne un "édifice de vocabulaire", le grain de l'image, le développement, le piqué, le velouté... L'image numérique n'est pas un rapport organique mais un calcul (data), inimaginable. Cyril Beghin reprend ce débat en tentant de dépasser sophismes et intégrismes, célébrant "la disparition du grain dans le pixel". Il voit dans le numérique "un ADN des images". En fin y-a-t-il une coexistence possible des deux technologies, pendant quelque temps, pour tirer profit de la transition, de "l'hybridité" (Caroline Champetier).

Le dossier (cf. Sommaire) est riche, polémique et toujours clair :
  • Débat entre deux projectionnistes pour dégager les gains et les pertes du passage au numérique, avec, au passage, une comparaison numérique / vidéo (Blu-ray). Réflexion technique sur les normes, l'effet de la compression, l'appauvrissement de l'image. Question aussi sur les écrans métallisés, les normes d'installation des salles... Cf. "Réglages d'usine" p. 11.
  • Article sur la "naissance d'une image". Le cas de "Apollonide", analysé de la sélection de la caméra jusqu'à la copie en passant par l'étalonnage (en relation avec les choix d'éclairage). Josée Deshaies, chef opératrice explique.
  • Le travail de l'étalonnage pour le numérique et pour l'argentique. Les limites de la modification des images avec le numérique : la lumière et l'étalonnage, les cadrages.
  • Les transformations du montage par le numérique, par Walter Murch, monteur des films de Coppola.
  • Le passé re-construit par le numérique dans les films d'époque. Johachim Lepastier montre à quel point notre image du passé est une image issue d'un passé technique. Le numérique retouche maintenant ces images du passé élaborées par un siècle d'images argentiques ; le passé se montre sous un nouveau jour... Notre mémoire en sera affectée.
  • La gestion du patrimoine cinématographique, de sa conservation à son exploitation. Quel modèle économique ?
  • Les questions de l'économie de la numérisation sont évoquées par Hélène Zylberait. La numérisation d'un écran s'élève à 80 000 € : quels seront les effets de la numérisation sur l'aménagement du territoire de la consommation cinématographique, sur la diversification de l'offre de cinéma, sur les acteurs de l'installation, sur les maillons faibles de la chaîne de valeur du film argentique ?
"ADIEU 35" est un dossier efficace, non seulement pour comprendre l'évolution du cinéma mais aussi, plus généralement, pour penser l'évolution des médias. Passionnant et pédagogique. A lire absolument.

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