dimanche 3 mars 2013

Données et typologies : sur un article du New York Times

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Un article du New York Times évoque la densité et la géographie de l'univers concentrationnaire européen construit par les Nazis et leurs alliés : "The Holocaust Just Got More Shocking" par Eric Lichtblau (March 3, 2013). La densité et la géographie de cet univers a manifestement été largement sous-estimée. Selon le journaliste, les chercheurs du Holocaust Memorial Museum, le nombre des "Nazis ghettos and camps" s'élevait en Europe à 42 500. Nombre inattendu et sidérant (staggering) tant on a appris dans les livres et les journaux que les camps se comptaient en dizaines, voire moins.

Les chercheurs ont pris en compte tous les lieux de détention, aidés de 400 contributeurs. Evidemment, on veut regarder sur la carte la situation de cette géographie du meurtre en France.
Bien sûr l'Est de la France compte beaucoup de ces "SS camps" et "subcamps". Mais, venant de lire l'ouvrage de Zysla Belliat-Morgensztern (cf. Les mémoires de son père), on observe que les lieux dont elle parle et qu'a connus son grand-père avant de mourir à Auschwitz, ne figurent pas sur la carte : Pithiviers, Beaune-la Rolande, etc. Et Drancy, d'où s'échappe miraculeusement Armand, non plus.
Cette carte est donc encore incomplète, et, partant, euphémisante ; elle ne donne pas une idée assez fine de la pénétration des dispositifs de mort dans la géographie complice du quotidien français de l'époque. Certes, les historiens distinguent justement ghettos, camps de transit, d'internement, de concentration et d'extermination, suivant plus ou moins la typologie pétainiste et nazie. En fait, cette typologie, en distinguant méticuleusement les étapes de l'organisation de la déportation, dissimule l'essentiel : que toutes conduisent à Auschwitz, Beaune-la Rolande comme le Vel d'Hiv et le gymnase Japy, Pithiviers comme Recebedou, Noe, Gurs, Agde, Rivesaltes, etc.

Alors que l'on parle de data journalism, cet exemple montre la dépendance des faits à l'égard des données et des typologies : "les faits sont faits" (par qui ? n'importe comment parfois), et toutes les données ne sont pas "données"... d'ailleurs, il faut se méfier de celles qui sont données, fournies (pourquoi, par qui ?) comme allant de soi. Quant aux typologies et à leur dénomination, elles sont souvent fallacieuses (typologies spontanées, indigènes) et risquent alors de constituer les premiers pas sur le cheminement vers l'acceptabilité. Pour déjouer ce piège, il faut rompre avec les typologies premières et construire scientifiquement des typologies sans compromis avec la langue courante que répète et propage tout journalisme spontané. Travail épistémologique scrupuleux et sans fin.
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