mardi 18 juin 2013

Les dimanches dans la vie

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Alain Cabantous, Le dimanche, une histoire. Europe occidentale (1600-1830), Seuil, 2013, 363 p.,

L'institution du dimanche est centrale dans la vie sociale des populations des sociétés occidentales ; elle rythme la vie économique et sociale et, bien sûr, la vie des médias : en témoignent les "Sunday Times", "Welt am Sonntag", "presse du septième jour", "Huma Dimanche" et autres "Télé Dimanche". Il n'est pas de média qui ne distingue et vende son audience du dimanche, qui ne s'adapte au dimanche (quitte à s'abstenir de paraître, comme le font les "quotidiens" gratuits).
Cet ouvrage couvre deux siècles de l'histoire européenne du dimanche, deux siècles qui précèdent et annoncent l'entrée dans une ère de plus en plus industrielle et laïque. Ce travail d'historien est méticuleusement documenté (80 p. de notes et une quinzaine de tableaux statistiques). Les pages consacrées à la culture matérielle de l'endimanchement (vêtements, cuisine. cf. p. 212 sq) sont malheuseusement trop brêves. Consacré à la famille, le dimanche est aussi un jour de cuisine et de bons desserts (cf. ci-dessous : "les classiques du dimanche)

Le dimanche s'est institué en Europe au cours des siècles d'hégémonie chrétienne. Cette institutionalisation ne fut pas aisée. Elle s'effectua contre la tradition juive du Shabbat que souhaitaient suivre certains chrétiens. Elle s'effectua aussi contre ceux qui revendiquaient l'égalité des jours de la semaine et notamment le droit de chacun à travailler à sa guise.
La Révolution française instaurera le "décadi" (1793-1805) à l'occasion d'une réflexion générale sur les mesures et sur le calendrier : il s'agissait alors de moderniser, rationaliser et laïciser le calendrier grégorien et la mesure de la durée. Le décadi ne dura pas. Paradoxalement, les régimes républicains, dont la séparation des institutions religieuses et de l'Etat est constitutive, ont maintenu l'existence du dimanche, sauf la Commune qui revint au calendrier républicain. En revanche, la "civilisation" du commerce et des loisirs en a estompé la référence religieuse pour n'y laisser qu'un élément du "week-end".
Les législations ultérieures accorderont une place croissante à l'activité marchande dominicale (ouverture des magasins) et l'on peut aisément imaginer que rien ne stoppera l'érosion du dimanche, conformément à l'idée nouvelle que l'activité économique et l'activité médiatique ne doivent jamais s'interrompre.

Après un premier chapitre rappelant les luttes politiques, syndicales dont le "repos dominical" a été l'enjeu récemment (enjeu relancé en septembre 2013, cf. la Une de l'Humanité ci-contre), l'ouvrage d'Alain Cabantous est centré sur l'évolution du dimanche dans la vie sociale et religieuse chrétienne, catholique et protestante.
Alors que les autorités chrétiennes voulaient faire du dimanche le coeur de la vie religieuse, elles ont dû faire face à une forte inertie réduisant le dimanche à un jour de repos et de loisirs ; elles mèneront une bataille incessante contre l'absentéisme et les retards à la messe, les bavardages, les comportements irrespectueux à l'église et au temple. La concurrence des loisirs a toujours été forte, le premier de ces loisirs qui menaçait le dimanche pieux étant le cabaret, l'estaminet où les hommes vont "prostituer leur raison", viennent ensuite la socialisation et les discussions entre femmes (discussions toujours traitées avec condescendance, cf. p. 230), puis la danse pour les jeunes, voire même le besoin de travailler, le plaisir de bricoler, jardiner, etc.

Ainsi, l'enjeu du débat sur le dimanche, qui commença comme une question religieuse, s'élargira au cours du XIXème siècle, pour concerner finalement la vie familiale, la cité et la santé. Proudhon signe en 1839 un texte au titre emblématique, répondant à une question mise au concours par l'académie de Besançon : "De la célébration du dimanche considérée sous les rapports de l'hygiène publique, de la morale, des relations de famille et de cité". Laïcisé, le dimanche modifie son statut : jour de repos, de loisir, de vie familiale, il est d'abord le seul jour de la semaine qui ne soit pas "donné" au seigneur, au patron". C'est le début d'une revendication : "Versons // Le dimanche sur la semaine // Est-il sage de s'ennuyer six jours sur sept ?", revendiquait Victor Hugo. Dimanche, "jour du Seigneur" (du latin d'église dies dominicus d'où vient le mot "dimanche") donnera son nom, dès la fin des années 1940, à une émission de télévision retransmettant la messe catholique en direct, chaque dimanche matin. L'émission est diffusée par France 2 (10h30-12h).



*  Sur une vision mélancolique du dimanche, voir le roman de Jean de le Ville de Mirmont, Les dimanches de Jean Dezert, 1914, rédité à La Table Ronde en 2013, avec la Préface de François Mauriac.
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