jeudi 11 septembre 2014

La vie électrique : l'avenir au passé


Albert Robida, Le Vingtième Siècle. La Vie électrique, Paris, 1890, texte et dessins de l'auteur, La Librairie Illustrée, 264 p.avec gravures, disponible gratuitement sur le site de la BnF Gallica

Roman de science-fiction, qui décrit la vie en 1955 telle qu'on l'imaginait en 1890. A la fin du XIXème siècle, la technologie qui change le monde est alors l'électricité, nouveau paradigme. On lui attribue de futures prouesses technologiques dans les domaines des communications, des armes, des transports, de la culture, de la médecine... La célébration de la "fée électricité" sera reprise plus tard, de manière plus optimiste (tableau de Raoul Dufy, 1937,  "Texte sur l'électricité" de Francis Ponge, 1954).

Le héros du livre est un ingénieur auto-entrepreneur. A sa sortie de l'école (X), il lève beaucoup d'argent grâce à une "émission d'actions pour la mise en exploitation de 10 années d'idées" (ses idées). C'est sa vie, consacrée à l'électricité, et celle de ses proches qui constituent la trame du roman. En lisant cet ouvrage, on ne peut s'empêcher d'effectuer un parallèle avec la situation actuelle qui voit se rêver tant de miracles numériques.

«L'Électricité, c'est la Grande Esclave. Respiration de l'univers, fluide courant à travers les valves de la Terre, errant dans les espaces en fulgurants zigzags, rayant les immensités dé l'éther, l'Electricité a été saisie, enchaînée et domptée » déclare l'auteur.
Discours prophétique et promotionnel que l'on entendra, plus tard, à propos de l'électronique, du Web, des données massives (Big data)... Aristote déjà envisageait le remplacement de la main d'œuvre humaine par des machines (Politique, Livre 1, IV3 : "si les navettes tissaient toutes seules et les plectres jouaient de la cithare") ; Descartes voyaient les hommes se faisant "maîtres et possesseurs de la nature" (Discours de la méthode). La science-fiction ressasse ces intuitions.

Suppression des distances et présence virtuelle. « L'Électricité porte instantanément la voix d'un bout du monde à l'autre, elle supprime les limites de la vision". Le téléphonoscope (le "télé"), on dirait Skype, est partout ; il y des cours par téléphonoscope, on peut consulter les catalogue (télé-achat), les théâtres proposent des abonnements téléphonoscopiques, il y a des "photo-peintres". Il y a des "plaques" (écrans) partout.

Stockage et distribution du savoir et de l'information. La phonoclichothèque d'audio-livres ("phono-livres") réunit des éditions des grands auteurs, un dictionnaire mécano-phonographique, des manuels scolaires (y compris pour préparer le bac)... Les salles de spectacle vivant se vident puisque le spectacle vient à domicile, commercialisé sous forme de musique mécanisée : "on reçoit par les fils sa provision musicale" enregistrée (phonogrammes), que l'on peut écouter au lit sur un "musicophone de chevet".
Devant son siège, le journal a placé un grand téléphonoscope, vaste écran où il montre "l'événement à sensation" du jour ; il y a des Télés dans les magasins (DOOH). Les machines dicutent entre elles, les voix se répondant et argumentant comme si l'on avait passé le test de Turing. C'est le début de la domotique, de l'automation (taxis, "aérocabs"), de la commande vocale ("phono-calendrier"). Le Téléjournal apporte les nouvelles à domicile ("Gazette phonographique du soir et du matin"). Description à rapprocher de "La Journée d'un journaliste américain en 2889", nouvelle publiée par Jules Verne en 1889, exactement contemporaine de "La Vie électrique" et qui est sans doute inspirée des ouvrages d'Albert Robida.

L'auteur décrit les changements sociaux qui accompagnent la rupture technologique provoquée par l'électricité. Le principal changement concerne l'égalité des femmes et des hommes, "progrès immense", obtenu grâce à l'éducation ; des femmes participent à tous les pouvoirs, scientifiques, techniques, politiques, financiers...
Deuxième dimension du changement : la santé obligatoire grâce au "grand Médicament national" géré par un ministère de la santé publique.
D'où une troisième innovation sociale, les vacances. A cette fin, une région, la Bretagne, a été épargnée par le progrès technique : le Parc national d'Armorique est devenu un musée naturel de la vie d'autrefois, rurale et simple, avec la poste et le facteur, les fêtes et "la douceur du village", l'agiculture artisanale... Le présent (1890) apparaîtra donc dans l'avenir (1955) comme un paradis perdu où viennent se requinquer les "énervés" et les surmenés, "citadins lamentables"...

Tout n'est pas formidable dans cette utopie avec ses "serfs des enfers industriels rivés aux plus dures besognes", avec les villes privées d'arbres, polluées, embrouillées de câbles et de fils électriques ; la cuisine familiale remplacée par une alimentation livrée à domicile par tubes et tuyaux, "les ignorants   contraints d'évoluer dans une civilisation extrêmement compliquée, qui exige de tous une telle somme de connaissances, vont perpétuellement de la stupéfaction à la frayeur" (p. 35). Déjà, l'on voit poindre la crainte de la surveillance, les menaces sur la vie privée, la difficulté de gérer le temps, le stress, la fatigue chronique, les enjeux de l'intelligence artificielle...

Toujours de lecture agréable, ce roman du XIXème siècle illustre souvent avec finesse et humour, et non sans naïveté, les risques que font courir aux sociétés les progrès scientifiques et techniques. Ainsi, le Parc national d'Armorique, lieu idyllique des vacances,  estentretenu pour guérir des maux de la civilisation électrique, "barré à l'industrie, il est interdit aux innovations de la science". Le progrès mal encadré ravive une nostalgie rousseauiste (Premier discours). La société française du XXIème siècle n'est pas à l'abri de cette nostalgie...

Notons que l'ambition d'imaginer la vie à venir reste présente : ainsi en 2014, Géo Ado (cf. supra) publie un hors série sur "Ta vie en 2050" où sont évoqués les robots, les voyages, les sports... Lecteurs et lectrices de ce numéro auront 50 ans en 2050.

dimanche 7 septembre 2014

Digital Signage : des écrans partout


Justin Ryan, Digital Signage Power. An Expert's Guide to Mastering the Technology, 2014, Lulu.com, 11,79 $ (eBook), 119 p. Pas d'index, pas de table des matières...

Voici la présentation de ce petit livre telle que rédigée par l'éditeur : "This Easy-to-Read Book Tells You Everything You Need to Know to Put the “Digital Signage Revolution” To Work In Your Business – And Make More Money Than All Your Competitors Combined!" (ici)
Tout n'est pas faux dans cette annonce : le livre est bref, il se lit aisément. Il est consacré essentiellement à la dimension technique du média. Les techniciens et ingénieurs du domaine n'y apprendront pas grand-chose. Et ils regretteront l'absence du marketing ou du droit.
Le DOOH pour les Nuls ? Presque.

L'ouvrage décrit, chapitre après chapitre, les composantes technologiques essentielles du DOOH : le media player et ses différentes configurations, les écrans, leurs caractéristiques et leur installation, la création de contenus vidéo, le marketing de ce média, etc. A la fin de l'ouvrage, des chapitres traitent rapidement de quelques cas : magasin de chaussures, succursale de banques, bijouterie, chaîne de supermarchés, épicerie ; mais pas d'exemple dans les transports ou les institutions culturelles (musées, cinéma, etc.), dans les stades ou les universités.

Avec le DOOH, la révolution numérique se propage - et s'aventure - dans un secteur nouveau, encore peu exploré. Prenons cette publication comme un symptôme du développement d'un nouveau monde publicitaire, celui des écrans hors des foyers, Digital Out Of Home (DOOH) que l'on traduit, faute de mieux, par "affichage numérique". Parler de publicité sur écran hors des foyers serait plus juste, mais inélégant. Suggestions anyone?
  • Ce média relève de la publicité extérieure puisqu'il est présent hors des foyers et souvent proche des affichages papier (dans le métro parisien, par exemple, Media Transports).  
  • Il  s'apparente à la PLV puisqu'il est installé dans les points de vente, dans les vitrines et se substitue au carton. 
  • Cela ressemble à de la télévision puisqu'il y a diffusion de vidéos sur des écrans, avec des formats publicitaires identiques à ceux de la télé. Cela ressemble à de la télévision aussi avec une structure en network qui peut épouser les réseaux de magasins (concession automobile, banque, assurance, bureaux de poste, hypermarchés, etc.) et associer ainsi contenus locaux et contenus nationaux (repiquages, etc.).
  • Cela n'est pas loin du Web non plus, puisqu'il peut y avoir mesure continue des audiences, planning et achat programmatiques en temps réel, liaison avec le mobile (identifiants uniques cross-devices). La mesure peut prendre en compte la visibilité et une certaine forme de capping.
Cette assimilation commode par proximité porte pourtant au contresens. Par exemple, à la différence de la télévision, dans la plupart des cas, le DOOH n'inclut pas de son. À la différence de l'affichage papier, toujours de longue durée, la présence des messages peut être brève, répétée et, surtout, elle peut être planifiée par tranche horaire, et adaptée sans délais ou presque (creative optimization). Ces différences, ici brièvement évoquées, ne sont pas sans conséquences : par exemple, dans l'écosystème publicitaire classique, quel département / service traiteront le DOOH pour la création, pour l'achat ? L'affichage ? La télé ? Le Web ? Qui dispose en agence d'une expertise transférable ?

On notera l'absence de la mesure des audiences et des contacts, tellement importante pour les régies publicitaires et les annonceurs (pour les nouvelles offres de mesure des audiences DOOH, voir Eikeo ou Quividi) ; l'interactivité est à peine évoquée alors qu'il s'agit d'un sujet critique, même si l'intérêt d'une interactivité individuelle dans un espace public reste discutée, au-delà de l'événementiel et des OPSpé. Liés à la mesure de l'audience des écrans et à l'interactivité, il faut évoquer la protection de la vie privée et le consentement nécessaire des passants et des clients à cette mesure (voir le document de la CNIL à ce sujet).

Voici un trop petit livre pour un si grand sujet d'économie publicitaire et de marketing hybride alors que la question de la relation entre points de vente physiques et e-commerce se pose de manière lancinante. Ce média est en train de devenir un élément majeur de l'écosystème publicitaire et commercial. Présent dans les transports et dans les points de vente, présent dans les lieux publics et dans les institutions d'éducation, il est par construction le média des actifs. Il mérite un livre plus copieux, plus détaillé pour décrire et poser les problèmes essentiels.


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