dimanche 26 avril 2015

"Der Witz", non, ce n'est pas une blague !


Andreas B. Kilcher, Poétique et politique du mot d'esprit chez Heinrich Heine / Poetik und Politik des Wiztes bei Heinrich Heine, Paris, Editions de l'éclat, 2014, 107 p., Index. 7€

Produit dans le cadre d'une coopération entre l'université de Aachen (Aix-la-Chapelle) et celle de la Sorbonne Paris 3, ce texte est celui d'une conférence Franz Hessel ; il est publié en deux langues, l'allemand et sa traduction en français.

La notion de Witz, rendue célèbre par Freud sous le nom de "mot d'esprit" (Le Mot d'esprit et sa relation à l'inconscient, 1905), date de l'Europe des Lumières (18e siècle) ; notion philosophique, elle renvoie à celle du français "bel esprit", de l'anglais wit, ou "ingenium" en latin. Lessing oppose le Witz au génie : le génie relève de la clarté et de la simplicité classiques, tandis que le Witz renvoie au complexe et à l'hétérogène du romantisme. Le génie aime la simplicité, le Witz aime la complication (Lessing). "Le Witz réside en cela qu'il dévoile le caractère borné de toute identité fixe, et relie les choses les plus lointaines, les plus disparates". Le Witz évoque la dispersion de la data, les connivences inattendues tandis que le génie évoque la logique calculée des classifications "logiques".

Heinrich Heine, après Voltaire (article Esprit de l'Encyclopédie), rattache le Witz à la notion de métaphore et lui donne une dimension critique, humoristique, polémique et politique. Le Witz permet de contourner la censure. Sur le plan du style, le Witz refuse la linéarité, la simplicité de la narration (simplification), la prévisibilité, lui préférant une forme chaotique faite de digressions, d'associations et d'omissions. Les Tableaux de voyage (Reisebilder) de Heine se prètent particulièrement bien à cette forme liant des contenus hétérogènes, "rapiéçage de toutes sortes de chiffons", montage inattendu, surréaliste. L'auteur montre le Witz à l'œuvre dans les ouvrages où Heine se moque des institutions, de l'Université, des religions, des administrations, et, c'est logique, des systèmes classificatoires (Linné)... Heinrich Heine est un provocateur, son style inquiète, il invite à penser, ne laisse pas ses lecteurs tranquilles, suspecte la prévisibilité du monde social, la linéarité des énoncés, promeut "l'intranquillité" (cf. Fernando Pessoa).

Le texte d'Andreas B. Kilcher en démontant méticuleusement la notion de Witz dégage son rôle dans le style de Heine. Au-delà, à l'aide des idées mobilisées dans ces analyses, on pourra démonter avec profit les styles narratifs à l'œuvre dans les médias (storytelling, reportages, faits divers, etc.). Qu'impliquent de consentement certains styles narratifs, dans les réseaux sociaux, par exemple ? Qu'est-ce qu'ils imposent imperceptiblement et rendent acceptable ?

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