jeudi 9 juillet 2015

Comprendre la Californie ? Poésie et vérités



Jean-Michel Maulpoix, L'Amérique n'existe pas, e-book disponible sur amazon (kindle), sur iTunes (Books), etc. 5 €

En 1994, à 42 ans, Jean-Michel Maulpoix est invité aux Etats-Unis par une université californienne. Il prend note de son dépaysement et le raconte. Le paysage quotidien américain, la vie quotidienne aux Etats-Unis lui sont une occasion de se connaître Européen. Ce carnet de notes de voyage est publié d'emblée, exclusivement, en livre numérique, avec photos prises par l'auteur. Nouvelle écriture autobiographique.

Il y a loin des collines de la Franche-Comté aux plages de Californie, de Montbeliard, où est né Jean-Michel Maulpoix, à Los Angeles. Dès son arrivée, le voyageur ressent "une différence culturelle qui stimule en la déconcertant la cervelle d'un français formé à la vielle école des humanités". Poésie et vérités, le récit de voyage est une tradition littéraire : Montaigne, Goethe, Stendhal... Professeur de littérature à l'université, Jean-Michel Maulpoix est connu pour une œuvre de critique littéraire mais, surtout, pour sa merveilleuse "prose poètique". Lisez Une histoire de bleu (cf. infra), par exemple, vous verrez.

S'agit-il de la découverte de l'Amérique ou de la découverte de la Califormie ? Aurait-on le même livre, la même expérience si l'auteur, invité par Middlebury College (Vermont), avait atterri à Boston ? Ce bleu, les couleurs pastel des photos, ce n'est pas le Vermont, pas le Wisconsin...
On pourrait penser qu'il s'agit d'un livre à lire en écoutant les Beach Boys et Brian Wilson. Oui et non. Certes, l'auteur ne semble pas avoir été séduit, à première vue, par les Californiennes, leurs formes, leur bronzage : "I wish they all could be California girls", disaient les Beach Boys, lui non ? Sa Chevrolet, il est vrai, n'était qu'une Nova, pas une "409".
Le séjour californien de Jean-Michel Maulpoix fut toutefois, selon sa formule astucieuse, "Le songe d'une vie d'été" : l'auteur semble avoir habité un tableau de Hockney. Il a été touché par tant de bleus, de lumière : les bords du Pacifique... Ce que traduisent ses photos. Mais par le surf, non ; peu de "good vibrations", pas de "Fun, fun, fun" ?

"J'ai cru comprendre l'Amérique... Je me trompe sûrement", confesse Jean-Michel Maulpoix, lucide, plus que Tocqueville. Sûrement ! Si les observations brutes sont convaincantes, les premières interprétations ont des airs de clichés. L'auteur l'admet : "on est à chaque instant tenté par des formules expéditives, telles que : ici la vie humaine a commencé à se débarrasser des livres". Trop de prévention, trop de précipitation, peut-être, ou pas assez ? La Californie, et encore moins l'Amérique, ne tiennent pas en quelques propositions, mais ces propositions annoncent une direction qu'il faudra rectifier, redessiner, de voyage en voyage... La simplicité de l'Amérique est une apparence provisoire à laquelle se laissent prendre les touristes européens, fussent-ils universitaires. Aux Etats-Unis, plus on y reste, plus le complexe, le compliqué nous étreignent. Et l'on finit par comprendre que, comme l'auteur le concède à la fin du voyage, l'on n'a peut-être pas compris grand chose. En fait, "l'Amérique n'existe pas", pourtant Jean-Michel Maulpoix convient qu'il l'a finalement rencontrée, lors d'un "coup de blues", de retour à Montparnasse (c'est le dernier chapitre : se dépayser du dépaysement). Car l'Amérique est plus qu'un pays, c'est un état d'esprit, une disposition : "California state of mind". "Ce n'est pas un pays mais un espace, un mode de coexistence pacifique, un processus consommatoire : elle se jette sur ce qui pourrait être".

L'auteur note que les modes de vie américains envahissent l'Europe. Mais n'est-ce pas plutôt l'Europe qui s'intoxique de bon cœur et révoque ses racines ? L'Amérique n'existe pas est une expérience et un livre de 1994. Apple perçait sous IBM, Google sous Microsoft. On était encore loin de la superbe de la Silicon Valley et de la "Californication" évoquée dans la série sur L.A. (Showtime). Cette Californie est-elle notre notre destin, celui de l'Europe, le point de départ d'une re-création ?

"Destruction leads to a very rough road
But it also breeds creation [...]
And tidal waves could'nt save the world
From Californication"

Red Hot Chili Peppers chantait ainsi "Dream of Californication" en 2000, empruntant à l'économie numérique une image de la destruction créatrice.
Ce que la romancière et journaliste Joan Didion, californienne, dit de sa Californie, vaut peut-être pour l'Amérique en général, donnant raison, finalement à Jean-Michel Maulpoix  : “California is a place in which a boom mentality and a sense of Chekhovian loss meet in uneasy suspension; in which the mind is troubled by some buried but ineradicable suspicion that things better work here, because here, beneath the immense bleached sky, is where we run out of continent". In "Notes from a Native Daughter," in Slouching Towards Bethlehem. 
Jean-Michel Maulpoix a perçu le côté tchékovien de la Californie, et le traduit à sa manière : "Je ne me suis à vrai dire jamais guéri de l'Amérique. Car il n'est pas de pays où l'on se trouve plus contingent et plus mortel qu'en celui-là." Californie, terre du numérique universel, là où l'Européen déraciné apprend qu'il n'a plus de racines, referme ses bouquins sur le nom de Heidegger et, guérissant de ses collines, se laisse aller à la technique, à l'intelligence artificielle, et à une "histoire de bleu"... "California dreaming"... la vie en bleu ?

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