mercredi 17 février 2016

La presse au miroir d'une Histoire : le meurtre de Weimar


Johann Chapoutot, Le meurtre de Weimar, Paris, puf, 2015, 97 p. Bibliogr

Comment l'Allemagne a-t-elle succombé au nazisme ? Les explications globales sont multiples : l'expérience de la brutalité durant la guerre de 1914-18 (les tranchées, le gaz, etc.), l'humiliation qui fait suit au traité de Versailles, la crise de 1929, le chômage, la collaboration du grand patronnat.... En revanche, les démonstrations menées à partir de cas méthodiquement analysés sont rares. Johann Chapoutot approfondit dans ce livre le cas de l'assassinat par des membres des milices nazies (la SA.) d'un ouvrier communiste en Silésie. "Ce meurtre devint une affaire, et le fait un événement par la vertu du calendrier". Qu'est-ce qui fait qu'un "fait" passe de "divers" à "historique" ?

L'analyse de Johann Chapoutot est précieuse tant au plan des résultats que de la méthodologie mobilisée. Les sources originales répertoriées (une liste de plus de 6 pages) font surtout appel à la presse nazie, au quotidien Völkischer Beobachter dont Hitler est le seul actionnaire ("völkisch" est un terme de la langue nazie, difficile à traduire, qui renvoie à das Volk, le peuple, donc à populaire, populiste). Son sous-titre déclare sans détour son but : Kampfblatt der nationalsozialistischen Bewegung Grossdeutschlands (1920-1945), journal de propagande et "feuille de combat" des militants du parti nazi pour le "grande Allemagne", journal d'ailleurs issu d'un titre antisémite racheté par le NSDAP puis par Hitler.

Tout se passe comme si l'auteur reconstituait à partir de ces documents les raisonnements des acteurs nazis, raisonnements et argumentations dont la presse quotidienne nazie est à la fois le reflet, le témoin et l'acte, un performatif politique, en quelque sorte. Comment la SA (Sturmabteilung) de Ernst Röhm a forcé la main de Hitler, comment la convergence d'un crime et d'une législation d'exception conduisit à l'illégalité puis à la promotion d'une légalité nouvelle (que théoriseront bientôt Alfred Rosenberg puis, bien sûr, Carl Schmitt) ?
Du point de vue méthodologique, il y a dans ce livre beaucoup à retenir sur la relation entre presse et événement, "comment l'historien peut y lire, sous l'écume de l'actualité, les courants profonds de plusieurs histoires". Bien sûr, on ne peut que se demander ce qu'apporterait la confrontation avec la presse du parti communiste (KPD). Mais ce n'est pas ici le sujet.
En plus de la presse nazie, l'auteur illustre et complète son travail à l'aide de brefs commentaires sémiologiques de quelques reproductions d'affiches électorales des différents partis.

Superbe travail, concis, précis, informé, clair. Belle démonstration d'histoire et de science politique des médias.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire